Comment
fut baptisé le Plateau de Mille Vaches
Il y avait dans le
temps, de l'autre côté
de Pigerolles un grand château qu'on appelait le
Château de la Grenouille. Son
propriétaire, le seigneur du Gros Rocher était
très riche; il avait des étangs
où il prenait des
poissons, de grands
bois où il chassait les sangliers, les loups, les renards et
bien d'autres
animaux. Sur le bord d'une de ces forêts, un scieur de long
avait bâti une
petite cabane; il y vivait avec sa femme.
Un
soir
qu'il faisait un orage terrible, que le vent soufflait en grondant avec
une
violence à briser les branches des arbres, que les
éclairs déchiraient le ciel
et que le tonnerre lançait des craquements au milieu d'un
roulement continu de
foudre, le tout accompagné de pluie et de grêle,
voici qu'on frappa à la porte de
la cabane.
Léonard
(c'était le nom du scieur de long)
qui se chauffait dans son coin de cheminée, en
berçant un tout petit garçon,
cria : « Entrez ! » La porte
fut ouverte et donna passage à une vieille
femme, couverte d'un manteau gris, en laine et coton; elle avait
à son bras un
cabas et s'appuyait sur un grand bâton ; elle dit :
« Que le bon Dieu soit
ici et que j'y sois admise aussi »
Léonard lui
dit: «Venez vous
chauffer, vous n'avez donc pas peur
dépérir, en courant par les chemins
par un temps pareil ?»
La vieille, qui
s'était assise sur le
billot de l'autre côté de la cheminée,
répondit: « Je viens du
château; j'y
ai vu une petite fille qui se nomme Rosette; quand elle sera grande
elle sera
bien bonne et bien belle; elle fera le bonheur de l'homme qui
l'épousera».
Puis elle rabattit la tête du berceau, regarda l'enfant et
demanda: « Est-ce
un garçon ? »
La
mère qui était dans son lit et qui avait
remarqué que la vieille était à peine
mouillée, bien que la pluie tombât à
verse, se dit que cela devait être quelque
bonne fée et elle se hâta de répondre :
« C'est effectivement un garçon. Est-il
baptisé ? Non et si vous vouliez être sa marraine,
cela nous ferait bien
plaisir».
La
vieille fut contente et elle dit: «Je veux bien,
nous l'appellerons Michel,
et quand il aura vingt ans je me chargerai de lui. Mais je n'ai
guère de temps
aujourd'hui; j'ai encore bien du chemin à faire et il faut
que je m'en aille;
cependant avant de partir je vais vous donner une bague, quand il sera
plus
grand vous la lui mettrez au petit doigt; elle n'est pas bien jolie,
mais elle
lui servira tout de même. »
Puis après
avoir posé la bague sur la
table elle ouvrit la porte, regarda dehors et se perdit dans la nuit.
Léonard
qui s'était avancé jusqu'au seuil de la porte,
prétendit qu'il l'avait vue
filer comme le vent dans l'air au milieu d'une grande lueur:
« Tu peux être
certain, dit sa femme, que c'est 'une bonne fée. Il est
probable qu'elle vient
de Meymac. C'est une chance qu'elle soit la marraine de notre fils».
Une douzaine
d'années s'étaient passées
depuis tout cela, le petit était devenu grand et fort, plus
grand et plus fort
que ne le sont d'habitude les enfants de son âge. Un jour sa
mère tomba malade
et elle mourut; quelque temps après son père se
fit écraser en abattant un
arbre, Michel se trouva seul. Il pleura beaucoup ses parents, ils lui
manquaient bien et sa petite cabane lui paraissait bien grande.
Voici qu'un soir sa
marraine, qu'il
n'avait vue que rarement, s'arrêta à sa porte et
lui dit : « Tu as eu du
malheur, mon filleul, mais maintenant tu es un homme, il ne faut pas
pleurer.
Tu es intelligent, tu es courageux, tu vas aller parcourir le monde
pour
apprendre à travailler, puis dans sept ans tu reviendras
ici, en attendant je
prendrai soin de ta maison. As-tu toujours la bague que je te donnai
lors de
ton baptême? Bon, surtout ne la perds pas».
Le lendemain, Michel
fit son petit
paquet, le lia bien, ferma à clef la
porte de la cabane, cacha la clef sous le banc qui était
devant la fenêtre,
coupa un jeune chêne pour s'en faire un bâton et
son paquet sur l'épaule, il
s'en alla. Comme il traversait un grand bois à
côté de sa demeure, il vit un
petit écureuil qui sautait de branche
en
branche, mais quand il arriva au bord du chemin, il manqua son coup et
tomba
sur un tas de pierres où il resta étendu sans
bouger.
Michel,
qui avait bon coeur, alla le relever
et il vit qu'il avait une patte cassée. Il fit des petites
éclisses, les
appliqua avec de la poix de cordonnier autour de la jambe malade, puis
il
déchira un bout de son mouchoir pour lier le tout ensemble.
Ensuite il fit avec
de la mousse, un
nid dans le creux d'un
arbre et y plaça la pauvre petite bête.
Un peu plus loin,
à la sortie du bois, il
vit un gros milan qui poursuivait une petite hirondelle. Il allait la
prendre
et la manger, quand Michel lui lança une pierre si
adroitement qu'il le tua
raide. L'hirondelle se sauva, bien contente. Michel commença
à apprendre
le métier de tuilier.
Un
jour qu'il extrayait de la terre glaise à
côté d'un étang, il vit un gros
oiseau qui avait un grand bec et un long cou, se débattre
dans l'eau, Michel
prit sa pelle et courut voir ce qui se passait ; il vit un gros brochet
qui
tenait l'oiseau par une patte et qui le tirait pour le faire noyer; il
lui
donna un bon coup de pelle sur la tête. Cela lui fit bien
lâcher prise et
l'oiseau s'envola laissant pendre sa patte tout en sang.
Michel resta un an chez
le tuilier, puis
il alla dans les villes pour apprendre toutes sortes de
métiers,
particulièrement celui de boulanger et de
pâtissier. Quand les sept ans furent
écoulés,
Michel retourna dans son pays. Le jour où il arriva, il
trouva sa marraine qui
l'attendait à la porte de sa cabane qu'il retrouva telle
qu'il l'avait laissée.
Elle lui fit des compliments sur sa bonne mine, puis elle lui apprit
qu'elle
avait raconté partout qu'il n'avait pas son pareil pour
faire de bons gâteaux,
qu'on le demanderait pour faire la cuisine aux noces, même au
château, pour les
repas.
En effet, une quinzaine
ne s'était pas
écoulée que le seigneur le fit demander pour
faire une bonne collation. Sa
femme était morte depuis longtemps et c'est lui qui
organisait l'existence du
château. Ce jour-là, il avait invité
tous les seigneurs du voisinage à faire
une partie de chasse. Il voulait leur faire voir sa fille qui
était devenue
grande et qui était bonne à marier, afin qu'elle
pût choisir un fiancé. Il dit
à Michel : « Tâche de te
distinguer, fais nous de bonnes choses, tu seras bien
payé. Du reste, ma fille va rester pour te surveiller».
Rosette et Michel
passèrent donc la
journée ensemble, lui à faire des
gâteaux, elle à le regarder faire. A la fin
de la journée ils s'entendaient le mieux du monde. Rosette
n'était pas
seulement devenue grande, elle était jolie comme le jour.
Elle vit bien les
chasseurs, mais son choix ne se porta sur aucun d'eux.
Le baron, (il faut vous
dire que ce
seigneur était baron), aimait bien la bonne
chère; il trouva les gâteaux à son
goût et il fit revenir souvent Michel, si souvent que le
pauvre garçon qui
passait ses journées à côté
de la si jolie, si mignonne Rosette, en tomba
amoureux à en perdre l'idée de boire et de
manger.
Un soir que sa marraine
était venue le
voir elle le trouva tout désolé. Elle lui demanda
ce qu'il avait. Michel lui
dit: « Ah ! ma pauvre marraine, il m'arrive le plus
grand des malheurs.
Figurez-vous que je suis amoureux de la fille du seigneur. .Comme je
sais qu'il
ne la donnera jamais au fils d'un scieur de long, j'aime mieux mourir,
je vais
me noyer».
Sa vieille marraine se
mit à rire tout doucement
et lui répondit: « Quand tu seras
noyé, tu seras bien avancé. A ta place je
ferais mieux, j'irais demander la main de Rosette à son
père. Tu verrais bien
ce, qu’il te répondrait. Il ne me
répondrait pas, il me ferait mettre en
prison, peut-être même ferait-il pire. Essaye
toujours, puisque tu veux te
noyer, tu ne risque rien, mais rappelle-toi quand tu parleras au
seigneur de
frotter la bague que tu portes au petit doigt, avec le pouce de l'autre
main. Eh
bien marraine, je vous écouterai, j'irai demain le matin;
comme vous dites je
ne risque rien». Le lendemain, Michel fit sa
toilette, puis il alla au
château.
Quand le seigneur le
vit, il lui dit: « Tiens
! Tu es ici, Michel, tu veux sans doute quelque chose».
Michel qui roulait
son chapeau dans ses doigts répondit : « Oui,
seigneur, je viens vous faire
une demande en mariage ! Ah ah mon gaillard, tu veux te marier. Quelle
est donc
celle de mes servantes qui t'a tapé dans l'oeil ; je parie
que c'est celle de
ma fille»,
Michel fut bien
mortifié d'entendre cela,
il devint rouge comme la crête d'un coq et en laissa tomber
son chapeau sur le
plancher; mais il se rappela la recommandation de sa marraine et il se
mit à frotter
la bague avec son pouce.
Aussitôt la
faculté de parler lui revint
et il dit : « Vous savez, seigneur, que mon
père était scieur de long ici,
mais il était d'un pays qui s'appelle la Gascogne; dans ce
pays tout le monde
est noble. La famille de mon père avait un château
bâti au bord d'une grande
rivière, un de mes arrières
grands-pères était même cousin du roi.
Mon père fut
forcé de fuir parce que son oncle qui avait volé
tous ses biens voulait le
faire mettre en prison. Ce n'est pas la servante de votre fille que je
viens
vous demander en mariage, c'est votre fille, c'est Rosette que je veux »
Et
il en dit bien encore d'autres, tant sa langue tournait bien. Le
seigneur le
regardait, tellement étonné, qu'il n'en
pouvait souffler mot ; jamais il n'avait entendu si bien
parler. Comme
il voulait gagner du temps pour prendre des renseignements, il dit
à Michel : «
Tu m'as peut-être raconté des mensonges;
as-tu des preuves que tu es
noble? Des preuves?
bien sûr que j'en
ai, je vais aller les chercher tout de suite. »
Puis il ramassa son
chapeau et se sauva au
galop. Sa marraine qui l'attendait devant sa porte lui demanda : «
Eh bien
qu'y a-t-il de nouveau? Tu n'es pas encore en prison ? Ah ma chère
marraine, ne m'en parlez pas :
je ne suis pas encore en prison c'est vrai, mais ma satanée
langue s'est mise à
tourner, à tourner et à dire des mensonges, je ne
pouvais pas l'arrêter. Elle
m'a fait promettre de donner au seigneur la preuve que mon
arrière grand-père
était cousin du roi. Où voulez-vous que je les
prenne les preuves ? Je n'ai
même pas de papiers.- Mais si, mais si
tu as des papiers, je vais aller t'en chercher ; ils n'ont pas grande
valeur,
ce ne sont que des contes de fées, mais le seigneur sait
à peine épeler que
quelques mots; tu ne risques rien, tu n'auras qu'à dire que
tu ne peux pas te
séparer de tes papiers.
Tant pis dit
Michel, j'aime tellement Rosette que
je me risque ! ».
Justement, quand il
entra au château il
vit, comme par hasard, Rosette à sa fenêtre. Elle
lui dit tout bas: « Bon
courage», Le
baron prit les papiers,
les regarda
longtemps, comme s'il comprenait
ce qu'il y avait dessus;
il finit tout de même par déchiffrer
le premier mot et il dit
à Michel : « On
écrivait bien mal
dans le pays de ton
père ; heureusement
que je suis savant. C'est
égal jamais je ne me serais figuré qu'il
était comte».
C'était le
premier mot qu'il avait
compris puisqu'il
était écrit en tête du
papier : « Conte des
Fées ». « Mais ce
n'est pas tout cela, si y
veux épouser ma fille, il faut la mériter; j'ai
des conditions à te poser;
voici la première: tu vois ce gros tilleul, à son
extrême pointe la pie a bâti
son nid. L'an dernier cette sale bête entra dans cette
chambre, elle vola la
chaîne en or de ma pauvre défunte femme et la
porta dans ce nid. Jamais
personne n'a pu aller la chercher. II faut que tu y montes la prendre.
Je te donne
jusqu'à demain midi pour me l'apporter».
Michel
répondit: « Seigneur, ce n'est
pas bien difficile, demain, avant midi, vous aurez la chaîne».
C'était la
bague qui le faisait encore parler. Quand il fut sorti, il alla faire
le tour
du tilleul, il regarda son fût, deux fois plus haut que le
clocher et gros
comme une des tours du château, son écorce
était
lisse comme si elle avait été
savonnée.
Il se dit : « Jamais je ne trouverai une
échelle assez haute pour y
atteindre et autrement jamais je ne pourrai y monter. Allons on dit que
la nuit
donne des, idées, je reviendrai demain matin. »
Sa marraine
était partie, il se coucha de
bonne heure, mais ne put dormir. Le matin il était avant
qu'il fit jour, devant
le tilleul ; il trempa sa chemise de sueur à essayer de
grimper, sans pouvoir
seulement aller plus haut que deux ou trois toises; il n'en pouvait
plus, il
s'assit tout découragé au pied de l'arbre. Au
moment où le soleil se levait, il
vit venir, descendant de branche en branche, un petit
écureuil qui s'arrêta
au-dessus de sa tête et se mit à le regarder.
Michel dit: «
Oh! pauvre petite
bête, si j'avais tes griffes, j'aurais
bientôt fait de monter chercher la chaîne d'or dans
le nid de la pie».
L'écureuil n'en
écouta pas
davantage : en un rien de temps il fut vers le nid. Il
commença par gober les
oeufs, puis il prit la chaîne entre ses dents et la porta
dans la main de
Michel, sans faire attention aux pies qui
le poursuivaient. Michel fut bien content, il
câlina le petit écureuil
qui lui dit : « C'est à ma grand'
mère que tu arrangeas la patte qu'elle
s'était cassée en tombant, je paye mes dettes. »
Et il se sauva dans le
bois.
Comme il
était trop tôt et que le seigneur
n'était pas encore levé, Michel, en attendant,
s'endormit au pied de l'arbre et
rêva qu'il était roi. Quand il fut
réveillé il alla au château. Le
seigneur fut
bien étonné. Il lui dit.: « C'est
bien, mais ce n'est pas fini, il y a des
moustiques qui bourdonnent toute la nuit, qui me piquent et
m'empêchent de
dormir; il faut que tu les détruises tous. Pour cela je te
donne jusqu'à
après-demain. J'essayerai, seigneur»,
répondit Michel.
Ce jour-là
il ne vit pas Rosette et se
trouva bien malheureux. En sortant de chez le seigneur, il voulut se
rendre
compte de ce qu'il avait à faire et il alla pour faire le
tour de l'étang. Il
marcha plus de six heures, mais il ne fit pas le petit quart du
parcours et
pendant tout ce temps il fut dévoré par les
moustiques. Il y en avait tellement
que c'était comme un brouillard. Il prépara un
grand brasier pour les faire brûler
quand la nuit serait venue. La flamme et la fumée en firent
périr beaucoup,
mais le lendemain on s'en apercevait à peine:
« C'est
impossible dit-il, ma
si jolie Rosette, je ne pourrai donc pas
te posséder» Et il se laissa tomber de
tout son long dans l'herbe, Et voici
qu'à ce moment il vit une hirondelle qui volait devant lui
en rasant l'eau et
en mangeant des moustiques tant qu'elle pouvait. Michel la regardait
faire,
puis il dit à haute voix: « N'est-ce pas
malheureux qu'au lien d'être seule,
tu n'aies pas avec toi plusieurs milliers de tes compagnes. Vous auriez
bientôt
accompli ma tâche. » Il n'eut pas
terminé ces mots que l'hirondelle
s'envola bien haut, bien haut, dans l'air et se mit à
pousser des cris.
De tous
côtés des bandes d'hirondelles; il
y en avait des centaines, il y en avait des milliers,
peut-être des milliards
qui volaient de toutes parts sur l'étang, sous les arbres,
autour du château,
partout. Quand la nuit arriva, la première hirondelle qu'il
avait vue vint se
poser sur son épaule et lui dit: « Je
suis la fille de cette hirondelle que
tu empêchas d'être mangée par le
méchant milan; je paye mes dettes. Tu peux
aller trouver le seigneur, il n'y a plus un seul moustique autour du
château.»
Michel la prit bien doucement, la remercia,
l'embrassa, puis elle s'envola avec toutes ses compagnes.
Quand le seigneur le
vit arriver le
lendemain matin, il lui cria: « Tu es
réellement un malin ! Je ne sais pas
comment tu t'y es pris, mais je crois qu'il n'y a plus de moustiques
sur
l'étang, il n'y en a aucun qui m'ait piqué cette
nuit, peut-être que ton
brasier les a tous brûlés. Mais tu n'as pas encore
terminé tes épreuves ;
il faut que tu me débarrasses de toutes les grenouilles qui
sont dans l'étang,
elles font tellement de bruit qu'elles m'empêchent de dormir,
presque autant
que le faisaient les moustiques. Puis avec leur rrrâ rrrâ leur grrrr...
croâ.:. croâ, elles ont
l'air de se moquer de moi et de mon château. Elles ont l'air
de dire: il
s'appelle le château de la Grenouille, c'est le
nôtre. Comme pour les
moustiques, je te donne pour les détruire jusqu'à
après demain midi. C'est
bien, seigneur, dit Michel, je ferai mon possible».
Puis il alla sur les
bords de l'étang; de
tous les côtés il vit sauter des grenouilles; il y
en avait des centaines et
des centaines. Il se dit : « Pour tuer toutes ces
bêtes il me faudrait bien
deux ans et non pas deux jours et encore je ne serais pas sûr
d'y parvenir.
Enfin, je vais faire mon possible comme je l'ai promis»
Il coupa une grande
gaule de coudrier et se mit à frapper de droite et de gauche
sur les
grenouilles ; au bout d'une heure il n'en pouvait plus ; il y avait
bien des
grenouilles le ventre en l'air, mais cela ne se connaissait pas ; il y
en avait
même qu'il croyait avoir tuées et qui revenaient
à elles puis se sauvaient. Il
s'arrête et s'assit, bien malheureux, au pied d'un arbre.
Tout à coup
il vit un gros oiseau qui
avait un grand bec, qui attrapait les grenouilles et vous les avalait
comme de
rien faire. Michel pensa aux hirondelles qui avaient mangé
tous les moustiques
et il dit: « Si cet oiseau pouvait faire la
même chose pour les grenouilles,
il me rendrait un grand service, mais il faudrait qu'il y en eut une
jolie
bande. »
Le héron,
(car il faut que vous sachiez
que le gros oiseau était un héron), avait entendu
Michel, il s'approcha de lui;
il boitait un peu parce qu'il avait une patte plus courte que l'autre,
il lui
dit: « C'est toi qui m'as sauvé la vie
un jour qu'un brochet m'avait attrapé
par la patte et voulait me faire noyer. Je veux t'obliger à
mon tour; ne te
fais pas de mauvais sang, je vais aller chercher du renfort et
après demain tu
pourras aller voir le seigneur, il n'y aura pas une seule grenouille
dans
l'étang ni aux alentours».
En
effet, le lendemain Michel vit sur le bord de l'étang une
grande bande de
hérons qui donnaient des coups de bec de tous les
côtés et le soir il
n'entendit plus de rrrâ rrrâ ni de grrre... rre...
croâ croâ. Il retourna au
château au moment convenu; le seigneur qui avait bien dormi
était de bonne
humeur, il lui dit: « Tu es encore plus malin que
je croyais, tu m'as rendu
un grand service, voici ma dernière condition;
après, si tu peux réussir, je te
promets que tu seras mon gendre. Tu connais l'étang, il faut
me le vider, je ne
l'ai jamais pêché, on ne lui connaît pas
d'empellement. Si tu ne peux pas, ouvrir de bonde, je vais te donner un
ustensile
pour le puiser. Je t'accorde deux jours pour accomplir cette
tâche.»
Et il lui remit un
panier tressé, à moitié
percé. Michel prit le panier et s'en alla il chercha partout
l'empellement sur
Ie bord de l'étang, mais il n'en put pas trouver; ce
n'étaient de tous côtés
que rochers. Il jeta une grosse pierre dans l'eau, l'étang
était tellement
profond qu'il ne vit pas sortir de bulles. Il essaya son panier et
travailla
jusqu'à la nuit, mais il n'en avait pas sorti un plein seau
d'eau.
Tout
désespéré il dit: « Cette fois
c'est bien fini, je n'ai plus qu'à me jeter
là-dedans avec une pierre au cou,
ma marraine n'est pas ici pour m'en empêcher ».
Il sortit une corde de sa
poche et il se baissait pour chercher une pierre lorsqu'il entendit du
bruit derrière
lui. Il regarda de côté et se trouva en face de sa
marraine qui était en
compagnie d'une autre vieille qui, elle aussi, portait un grand
bâton.
Sa
marraine lui dit: « Eh bien, mon
filleul, ça va-t-il ? Vas-tu te
marier bientôt ? Je pense que tu m'inviteras à ta
noce ainsi que ma compagne
que tu vois ici. Mais qu'est ce donc que tu veux faire avec cette corde
? Ma
bonne marraine, lui répondît Michel, je ne pourrai
pas vous inviter à ma noce
parce que je ne me marierai pas. Le seigneur m'a posé comme
condition de vider
l'étang, ou de le puiser avec un panier percé.
Comme ce n’est pas possible et
que l'étang n'a pas de vanne, plutôt que de ne pas
avoir ma Rosette, j'aime
mieux me noyer et j'avais déjà cherché
une corde pour me mettre une pierre au
cou lorsque je vous ai vue. »
Alors l'autre vieille
dit: « Écoute Michel,
je suis la fée qui gouverne tons les animaux; je te connais
depuis longtemps et
je sais que tu as bon coeur: tu as remis en état la jambe de
mon écureuil, tu
as empêché mon hirondelle d'être
mangée et mon héron d'être
noyé, je veux te
rendre service. Cet étang m'appartient: il n'a pas de vanne,
il est bien grand,
il est bien profond, mais je connais malgré cela le moyen de
le vider
rapidement. Regarde bien où est mon bâton;
aussitôt que le chat-huant hululera,
tu gratteras la terre à cet endroit; tu trouveras deux
pierres blanches,
grosses comme deux oeufs de poules; tu les prendras et tu iras
t'asseoir au
pied de ce gros chêne qui est au bord de l'étang.
Aussitôt que tu verras passer
un rayon de lune à travers les branches, tu jetteras une des
pierres dans
l'étang et l'autre derrière toi sans regarder, et
tu laisseras faire. Surtout n'oublie
rien ».
Michel qui avait
regardé la lune qui se
levait voulut remercier sa marraine et l'autre vieille, mais quand il
se
retourna: il n'y avait plus personne. Un instant après le
chat-huant se mit à
hululer. Michel gratta la terre là ou le bâton de
la vieille avait marqué son
empreinte. Il trouva deux cailloux blancs, lourds comme des
aérolithes. Il les
prit et alla s'asseoir sous le chêne. Au premier rayon de
lune dans la ramure,
il jeta une des pierres dans l'étang, l'autre
derrière lui, sans se retourner.
Aussitôt de
tous les côtés il vit
s'avancer des vaches; il y en avait des rouges, des noires, des
bariolées;
elles venaient par bandes de dix, de vingt, de cent; il y en avait des
mille et
des mille. Immédiatement elles se mirent à
s'abreuver dans l'étang; il y en
avait tellement qu'elles se tenaient toutes les unes contre les autres,
sur le
bord, pendant des lieues et des lieues.
Et
au fur et à mesure qu'elles buvaient et que l'eau entrait
dans leur gorge elle
sortait de l'autre côté. Comme l'étang
était sur un plateau et que tout autour
le terrain descendait en vallée, il n'y avait pas de danger
que l'eau revint à
l'étang. Elle s'en allait en clapotant de tous les
côtés; elle faisait des
ruisseaux et des rivières. Et tous ces milliers de vaches
qui pompaient l'eau à
tire-larigot eurent bientôt fait de mettre l'étang
à sec.
Le lendemain matin, le
seigneur fut tout
éberlué, quand il ouvrit ses volets, de ne pas
voir d'eau autour de son
château, comme d'ordinaire, et il vit un grand troupeau de
vaches qu'un vacher
menait paître. Il alla vers lui, demanda à qui ce
troupeau appartenait, il
n'avait jamais vu tant de vaches dans le
pays.
Le vacher lui
répondit qu'il venait de
bien loin pour mener, comme chaque année, à son
jeune maître, le comte Michel
de l'étang, les vaches qu'il vendait ensuite dans les
foires, que c'était d'un
joli bénéfice et que le roi de son pays
le faisait même demander pour lui donner sa fille en mariage.
.Le seigneur
.n'en écouta pas davantage, il se mit à courir et
quand il arriva vers Michel
qui était
tout couvert de vase et qui
finissait de transporter les poissons dans les réservoirs,
il lui sauta au cou
et l'embrassa bien fort sur les deux joues en lui disant:
« Tu es plus
fin que tous les gens d'ici, tu me plais, tes épreuves sont
finies, je te donne
ma fille en mariage; mais va vite te changer, tu pourrais prendre du
mal.
Prends tes habits de dimanche, puis tu viendras au château:
je veux qu'on passe
le contrat ce soir, puis je vais faire prévenir nos voisins,
nous ferons la
noce demain».
Michel se secoua un
peu, remercia le
seigneur et courut à sa cabane. Il trouva sa marraine et sa
compagne assises
devant sa porte. « Eh bien mon filleul, lui dit sa
marraine tu ne veux plus
te noyer; tu vas avoir ta Rosette; tu vois bien qu'avec du courage, de
l'intelligence et de la patience on arrive à tout ! Tu vas
être heureux, tu
n'auras plus besoin de nous».
Michel n'eut pas
même le temps de leur
dire merci, elles étaient parties au grand galop dans les
airs, assises sur un
bâton d'où pendaient des fleurs de toutes les
couleurs. Il alla au château, le
contrat se passa le soir, puis le lendemain on commença la
noce qui dura un
mois.
Le
seigneur, qui était friand et gourmand, mangea tellement
qu'il mourut au bout
du mois. Michel resta propriétaire du château de
la Grenouille, il fut bien
heureux avec sa Rosette qu'il aimait tant et qui l'aimait bien de son
côte et,
en souvenir de ce qui lui était arrivé, il appela
l'endroit où se trouvait
l'étang et qui était devenu un large plateau
où poussaient des ajoncs, de la
bruyère et des genêts, il l'appela le
plateau de Mille Vaches.
Extrait
du livre : "Contribution à l'étude du Parler de
la Creuse" du docteur Louis Queyrat
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